Posted on 09 février 2011.
C’est au cœur de son site de Lorient que DCNS a implanté une zone dédiée à la réalisation du premier bâtiment de la famille des corvettes et patrouilleurs du type Gowind. Véritable « chantier dans le chantier », ce pôle est une grande nouveauté pour l’industriel français.
En effet, pour la première fois, DCNS a décidé, dans le cadre du programme Hermès, de construire sur fonds propres un prototype. Et il ne s’agit pas d’un petit bateau puisque le futur patrouilleur hauturier (Offshore Patrol Vessel – OPV) mesurera 87 mètres de long et affichera un déplacement de près de 1 500 tonnes en charge.
Cet investissement, d’un coût de plusieurs dizaines de millions d’euros, doit permettre au groupe de proposer à ses clients un OPV opérationnel et non un simple concept qui, si séduisant puisse-t-il être, ne constituait jusqu’ici qu’un navire de papier. Eprouvé à la mer, le prototype de la famille Gowind doit démontrer ses capacités et, pour ce faire, sera mis à la disposition de la Marine nationale entre 2012 et 2015. Ainsi, les militaires français pourront utiliser cette plateforme pour leurs missions, au cours desquelles l’OPV sera présenté à différents pays.
Au-delà du « coup de pub » potentiel, DCNS bénéficiera, dans le même temps, de ce premier retour d’expérience pour, le cas échéant, améliorer son produit.
Vue du futur patrouilleur L'Adroit ©DCNS
Un chantier dédié
Mais, avant d’en arriver là, un véritable enjeu entoure actuellement la construction du navire, que la marine baptisera L’Adroit. Libéré des traditionnelles « contraintes » liées aux relations, au suivi et éventuellement aux changements d’avis de ses clients, DCNS, propriétaire de la coque, gère la réalisation comme il l’entend. Cette liberté dans le développement d’Hermès a d’importantes conséquences sur l’organisation de la phase de production et la gestion du programme. Ainsi, L’Adroit n’est pas réalisé, comme les frégates multi-missions (FREMM), dans la forme de construction, mais dans un chantier dédié, situé sur un terre-plein dans une autre partie de l’établissement. Ce chantier est installé dans un ancien atelier composite, édifié initialement pour réaliser les bâtiments anti-mine océaniques (BAMO) abandonnés en 1991 (*), et utilisé par la suite pour les structures en matériaux composites des frégates La Fayette. Dans le vaste hall couvert, soudeurs, électriciens, câbleurs, mécaniciens, monteurs, peintres et autres aménageurs s’activent. Tous travaillent exclusivement autour de ce projet, qui mobilise cet hiver 90 personnes sur le chantier et une vingtaine d’autres dans les ateliers. La moitié des effectifs est constituée de collaborateurs de DCNS. Tous sont volontaires pour relever le défi imposé par la direction : Concevoir et réaliser un nouveau bâtiment dans un contexte innovant et avec de fortes contraintes. « Les objectifs au niveau des coûts et des délais sont très serrés, les études et la réalisation devant être menées en deux ans », rappelle Stéphane Dutruel, responsable chez DCNS de la production du patrouilleur.
Une organisation sur mesure
DCNS a profité du programme pour déployer de nouvelles méthodes de construction, auxquelles sont étroitement associés les sous-traitants, dont les principaux sont chargés de grands sous-ensembles. Piriou s’est vu confier la réalisation de la partie avant, qui a été fabriquée à Concarneau et remorquée à Lorient début décembre. STX France se charge pour sa part du second quart avant, qu’il ne réalise pas sur son site de Lanester mais directement chez DCNS. Ce dernier s’occupe des autres parties du patrouilleur, notamment l’arrière, ainsi que l’assemblage de la coque, tout en pilotant l’ensemble. Pour l’occasion, 60 postes ont été créés (soudeurs, mécaniciens, coquiers, soutien chantier…) chez DCNS. Pour le site de Lorient, Hermès représente aussi une grande nouveauté en termes de standards. En effet, si les variantes les plus complexes de la famille Gowind sont des corvettes aux normes militaires, ce bateau, constituant l’entrée de gamme, est essentiellement conçu aux normes civiles. « Au niveau de l’architecture globale, cela nécessite la mise en œuvre de solutions techniques différentes. Nous avons mis en place une équipe d’étude et de réalisation dédiée pour s’affranchir des normes et usages habituels des bâtiments militaires », explique Pascal Le Roy, directeur du site de Lorient.
Le programme est aussi l’occasion d’initier de nouvelles méthodes de travail, afin d’optimiser au mieux la conception et la réalisation. « Dès le mois d’octobre 2009, au moment des études détaillées, nous avons intégré au plateau dédié des techniciens méthode et des cadres de production. L’expertise des équipes de construction nous a, ainsi, permis de réfléchir dans le moindre détail afin de réduire les coûts, trouver des solutions innovantes et faire en sorte que le navire soit simple à construire ».
Le chantier mi-décembre 2010 ©MER ET MARINE - V. Groizeleau
« Enormément d’autonomie »
Sur le chantier, cette nouvelle approche est palpable. « Nous avons énormément d’autonomie au niveau des équipes et les processus sont allégés par rapport à ce que nous faisons traditionnellement. Les seules bornes que nous nous fixons sont au niveau de la règlementation, puisque le bâtiment doit être certifié par le Bureau Veritas, et bien entendu en matière de sécurité, où nous ne prenons aucun risque. Au-delà, on a le droit et même le devoir d’apporter des touches personnelles permettant d’améliorer les procédés », souligne Stéphane Dutruel. Sur le site, le partage de savoir-faire et d’expérience est également encouragé avec les sous-traitants, notamment ceux du site morbihannais de STX, rompus aux constructions civiles : « Nous avons privilégié des industriels locaux afin de tisser des relations fortes. L’apport est très intéressant au niveau des bonnes méthodes utilisées dans la construction civile ». Pour ce programme, où une importante partie du navire est réalisée par la sous-traitance, y compris à l’extérieur du site, la gestion de la co-activité est primordiale pour assurer le respect du planning de construction. Car Hermès, via son organisation spécifique, doit permettre à DCNS de réduire les délais de production. Ainsi, pour L’Adroit, le travail en amont sur la coque a été renforcé, de manière à ce que les équipes d’armement disposent de structures bien avancée, rendant le travail plus rapide et efficace.
Alors que dans le hall de construction, dotés de trois ponts (deux de 20 tonnes et un de 5 tonnes), les équipes assemblent rapidement les différents éléments de coque, les bureaux d’études et l’équipe de management de projet, soit une vingtaine de personnes, sont situés dans le même bâtiment. Juste de l’autre côté du mur. « Cette proximité permet une meilleure synergie entre les équipes, ainsi qu’une plus grande réactivité face aux aléas inhérents à un chantier. Les corrections sont apportées immédiatement, de manière à éviter l’effet boule de neige », confie Stéphane Dutruel. Totalement intégré, ce chantier autonome se charge même, en plus de la construction de L’Adroit, des aspects commerciaux et marketing liés au programme.
Un club d’investisseurs pour fournir les équipements
Dans le cadre d’Hermès, DCNS réalise une coque propulsée et aménagée. Le groupe livre également un certain nombre d’équipements, comme le système de lutte Polaris et les consoles associées. L’Adroit ayant pour vocation à servir de démonstrateur et, au travers de son exploitation durant trois ans par la marine française, de vitrine technologique, le groupe naval est aussi parvenu à convaincre d’autres sociétés de la rejoindre. Même les fournisseurs locaux, comme la société bretonne Marc SA (qui fournit des échafaudages) se sont prêtés au jeu en nouant des partenariats avec DCNS.
Quant aux gros équipements, via un « Club d’investisseurs », plusieurs groupes vont mettre à disposition des matériels. D’ailleurs, il convient de noter que cette initiative revêt un caractère non pas franco-français, comme on aurait pu s’y attendre, mais plutôt international. Participent ainsi à l’opération
- le Danois Terma avec le radar de veille Scanter,
- les Français Sagem, Thales et Lacroix pour la centrale inertielle, les communications militaires et les lance-leurres,
- l’Italien OTO-Melara pour le canon de 20mm
- ou encore l’Allemand Links+Rechts pour les feux aviation.
Pour ces équipementiers, Hermès permet de faire valoir leurs produits sur un bâtiment moderne, « labellisé » par la marine française et amené à participer à de nombreuses missions, exercices, escales et représentations à l’étranger. C’est, aussi, une belle occasion de se positionner sur le segment très porteur des unités chargées de la surveillance et du contrôle d’espaces océaniques ou de zones économiques exclusives (ZEE).
Cap sur les essais au mois d’avril
Après la découpe de la première tôle de L’Adroit, le 7 mai 2010, la construction avance avec une célérité étonnante. En décembre, les Ateliers Normands ont livré les deux moteurs ABC de 2 800 KW chacun, ainsi que les deux réducteurs fournis par Finnøy. Après l’installation de l’appareil propulsif dans la coque, le pont principal a été fermé et le montage des éléments supérieurs a débuté. Dans le même temps, DCNS procédait le mois dernier à l’achèvement de la partie arrière, qui disposera d’un système de mise à l’eau pour embarcations rapides fourni par BOP. Ce mois-ci, la coque sera refermée avec le soudage de la section arrière et la mise en place de la partie avant, réalisée à Concarneau par Piriou. Toujours en janvier, DCNS attaque avec ses sous-traitants la mise en place des superstructures, ce qui doit permettre au patrouilleur de présenter sa forme définitive en mars.
N’étant pas réalisé comme les frégates dans la forme de construction du site, l’OPV sera mis à flot suivant un autre procédé. Deux lignes de remorques, placées sous la coque, tracteront le bateau vers le quai, où il embarquera, à la façon d’un roulier, sur une barge dotée de lignes de tins. Celle-ci gagnera ensuite le bassin numéro 3, où elle sera mise au sec avec son colis, dont le poids devrait avoisiner 1 200 tonnes. De là, seront effectués les ultimes travaux avant les premiers essais en mer, programmés en avril. A l’issue de la mise au point, L’Adroit devrait être fin prêt en fin d’année pour être mis à la disposition de la Marine nationale.
Cet OPV représente donc l’entrée de gamme de la famille Gowind, dont les variantes les plus évoluées affichent un déplacement de 2 500 tonnes et peuvent embarquer un armement assez conséquent (missiles antinavire, système surface-air, canon de 76mm). Ces navires doivent pouvoir répondre à des missions très diverses, allant de la surveillance maritime au combat naval, en passant par la lutte contre le narcotrafic, la piraterie ou encore la police des pêches. Long de 87 mètres, L’Adroit se veut comme un navire endurant. Pouvant atteindre 21 nœuds, il affichera une autonomie de 8 000 nautiques à vitesse économique, soit environ trois semaines d’opérations. Le bâtiment comptera un équipage de 30 marins et disposera de logements pour 29 personnes supplémentaires, par exemple des forces spéciales. Celles-ci auront notamment, à leur disposition, deux embarcations rapides mises en œuvre en moins de 5 minutes par le tableau arrière. Ces embarcations seront probablement des RIB de nouvelle génération réalisés par le chantier finistérien Ufast et dont le prototype doit effectuer cet hiver ses premiers essais en mer. Long de 9,3 mètres pour une masse de 2,5 tonnes, cet engin, capable de filer à plus de 45 nœuds et franchir plus de 250 nautiques, peut embarquer 12 personnes, équipage compris. En matière d’opérations spéciales, on notera que L’Adroit abrite des locaux pour stocker les équipements des commandos, ainsi qu’une salle spécifique, sur l’arrière, pour la préparation des missions. Le patrouilleur disposera en outre d’une plateforme capable de recevoir un hélicoptère de 10 tonnes (type NH90) et un abri pour un hélicoptère léger (classe 5 tonnes) ou un drone aérien.
En matière d’armement, l’OPV embarquera, sur l’avant, un canon télé-opéré de 20mm, ainsi que deux mitrailleuses de 12,7mm sur les superstructures. S’y ajouteront divers moyens d’autodéfense non létaux, comme des canons à eau et, probablement, des dispositifs d’émission d’ultrasons. Comme l’ensemble de la famille Gowind, le premier OPV de DCNS est conçu pour répondre aux menaces asymétriques. A cet effet, il adopte une passerelle panoramique, qui donne une visibilité à 360 degrés et permet aux personnels de quart de se déplacer tout autour, à l’intérieur comme à l’extérieur. On notera que le navire ne compte pas de Central Opérations (CO). Toutes les consoles permettant de gérer les senseurs, l’armement ou les drones, soit une dizaine au total, sont disposées en passerelle. Très automatisé, le navire ne nécessitera que 3 à 4 marins de quart pour les navigations courantes. En cas d’avarie, un PC de secours est installé à l’arrière avec, notamment, un pupitre de commande des machines. De plus, sous la passerelle, une « show room » sera installé avec différentes consoles permettant d’effectuer des démonstrations, mais aussi des mises en œuvre de moyens et du management d’opérations. Ainsi, il sera possible d’interagir avec le système Polaris, le radar de veille et une partie des communications. Suivant les configurations proposées par DCNS à ses prospects, cette « passerelle bis » peut d’ailleurs être dotée, comme à l’étage supérieur, de vitres et, ainsi, servir à l’instruction ou l’entrainement. Gowind se transforme, alors, en bâtiment école.
__________________________________________________________
(*) Conçus pour la protection des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins jusqu’aux abords du plateau continental, les BAMO, gros bâtiments de 900 tonnes en composite, devaient être réalisés à 10 exemplaires. Mise sur cale en juin 1986, seul le prototype, le Narvik, a été lancé. Il ne fut toutefois jamais achevé, le contexte géostratégique ayant évolué avec la chute du mur de Berlin et le programme étant considéré comme trop coûteux.
__________________________________________________________
Lire l’article dans son contexte