Posted on 05 mars 2012.
Le Lorientais Michel Tonnerre vient de livrer son 7e livret de navigation musicale. Le poète pirate, très malade, nous raconte ses souvenirs de bourlingueur. Embarquement.
Michel Tonnerre : Le dernier pirate
«Ar mor», votre septième album, est sorti récemment chez Coop Breizh. Sans surprise, on retrouve des univers de ports interlopes, de voyages périlleux sur des océans lointains, de mousses aux yeux qui brillent quand ils regardent le large…
La mer, c’est mon univers. Depuis toujours: chez moi, on a tous cette passion. Mon grand-père s’est embarqué à 13 ans sur les thoniers de Groix. Et mes parents travaillaient avec les marins: mon père, mareyeur groisillon, s’était installé avec son frère et m’a transmis l’amour de ce métier. Je suis même rentré au lycée pour devenir officier de la marine marchande. Mais bon, j’étais trop flemmard… Aujourd’hui encore, tu me mets sur un cargo, et je pars tout de suite.
Comment finit-on par faire glisser l’encre après avoir toujours voulu lever l’ancre?
L’écriture, ça m’est venu comme ça, sans prévenir. Je me souviens de ma première chanson: j’ai eu un flash. Bien sûr, quand j’étais adolescent, j’avais écrit des petites chansons légères, un peu à la con… Mais là, les mots sont sortis tout seul. À ce moment-là, j’avais 18 ans et j’étais au lycée de Kersa, à Paimpol. Près du sillon de Talbert, il y avait un resto, et c’était le point de rendez-vous des copains, chaque week-end. C’était devant le sillon de Talbert. Comme aujourd’hui, je me suis posé et j’ai tout écrit d’un bloc, sans rature, sans revenir dessus… À la base, j’étais très matheux et pas du tout littéraire. Un type qui écrit en vers, il doit être fort en maths. Parce qu’une chanson, c’est carré. Moi, j’ai toujours eu du mal à écrire de la prose. Quand j’écris, c’est automatiquement en vers. Parfois, je me réveille la nuit, et j’écris en vers. Toute une chanson. Et le lendemain, je ne me souviens pas avoir écrit ça.
Votre première scène?
Ma première scène… Je crois que c’était à l’école. «The house of the rising sun» (The Animals). À 16 ans. Et ça m’avait déjà plus inspiré que le reste. Faut dire que l’école, ce n’était pas trop mon truc. Mais chanter, ça… Ensuite, je me suis lancé. Avec un copain, qui jouait de la guitare, on jouait devant des marins qui fréquentaient le dernier bar à putes de Lorient. Ce sont d’ailleurs ces dames qui prenaient le pognon des marins, à la suite des «représentations», et qui nous le remettaient. On chantait du Graeme Allwright, du Hugues Aufray, des trucs de boy-scout… C’était pas mal, comme apprentissage. Mais comme ça m’embêtait de ne rien avoir dans les mains, je me suis mis à la guitare. Avec une guitare entre les bras, les filles vous tendent plus facilement les leurs. Et le soir, dans ma chambre de pension, dans le noir, je plaquais les cordes de ma guitare pour qu’elles ne vibrent pas… et j’apprenais les accords. C’est comme ça que j’ai appris à jouer, même s’il faut l’avouer, je suis un très mauvais guitariste.
L’époque Djiboudjep s’est refermée sur un claquement de porte?
Oui… J’ai écrit beaucoup à cette époque, surtout du chant de marins, pour Djiboudjep. On tournait beaucoup, en jouant partout. On dormait un peu n’importe où. Un soir, on s’est allongé au milieu de 250 vaches, dans l’étable. À la fin, j’en ai eu marre et je l’ai dit. Ça a provoqué quelques engueulades et j’ai quitté le groupe. Plus tard, on s’est un peu fâché avec Mickael (Yaouank)… Mais le temps a arrangé tout ça.
Et les rêves d’embarquer?
Ils ne m’avaient pas quitté. Mais d’abord, je suis rentré dans l’entreprise de mon père. J’adorais ce boulot. Mais bon, ça n’a pas vraiment marché comme je le voulais. J’ai sans doute voulu aller trop vite. Il fallait beaucoup de liquidités et les banques ne prêtaient plus. En même temps, j’ai monté une affaire d’import-export avec un gros client espagnol. Et j’ai fait de la prison là-bas. Pour eux, il y avait évasion de devises… Un mois et demi en prison, mais ce n’était pas si terrible. Je rédigeais des lettres et des mots pour les détenus espagnols qui ne savaient pas écrire. Ça m’a d’ailleurs permis d’apprendre l’espagnol. On a fait appel au fisc en France et à la Douane pour qu’il vérifie nos comptes. Et on était clean. En revenant en France, ça s’est gâté. Ma femme est partie, l’entreprise a fait faillite. J’avais 38 ans. C’était le moment de me barrer au loin. Un jour, j’ai rencontré ce type qui faisait du cabotage. On est devenu amis et j’ai embarqué pour la Nouvelle-Calédonie, à bord de son cargo. J’ai découvert le Vanuatu, la Papouasie-Nouvelle Guinée, les îles Salomon… C’est en revenant à Lorient que j’ai décidé de monter mon groupe et je me suis vraiment investi dans la chanson.
Nombre de vos chansons sont devenues des classiques, des chansons qu’on pense héritées du répertoire traditionnel, sans savoir qu’elles ont été écrites par un auteur contemporain… N’est-ce pas un peu frustrant, parfois?
Non, cela me fait sourire. Au festival de chants de marins de Paimpol, un samedi soir, je me promenais et, à droite ou à gauche, je n’entendais que mes chansons. Sur un bateau, un groupe de chanteurs allait se lancer sur ce que le chef de choeur avait appelé, pour les spectateurs, «un chant traditionnel». Et puis, en se retournant, il dit: «Et justement, voilà son auteur qui passe derrière nous». Les gens ne comprenaient plus…
Extrait de Le Télégramme 5 mars 2012.